Cour suprême du Canada et travaux en copropriété
Le syndicat, dans le cadre de ses missions, doit autoriser, le cas échéant, tous travaux entrepris par des copropriétaires, que ce soient dans les parties privatives ou les parties communes à usage restreint. Les copropriétaires ne doivent pas oublier qu'en copropriété, certaines règles s'appliquent. À cet égard, certaines déclarations exigent des copropriétaires la remise au conseil d’administration d’un descriptif des travaux à être engagés dans une partie privative, afin d’en vérifier la portée et les conséquences au niveau sonore, afin que le conseil d'administration donne au copropriétaire son autorisation.
Le défaut pour un copropriétaire de respecter les prescriptions de la déclaration de copropriété l’expose à un recours judiciaire pouvant mener à une condamnation en dommages/intérêts et à une ordonnance du tribunal l'obligeant notamment à démanteler le plancher.
Autorisation du syndicat face aux droits et libertés fondamentales
Lorsque la déclaration de copropriété interdit au copropriétaire d’exécuter des travaux d'aménagement sur les balcons, et que le syndicat confirme cette impossibilité par un refus de la part du conseil d’administration, le copropriétaire dispose de peu d’options. Toutefois, si des droits fondamentaux reconnus par la Charte des droits et libertés de la personne sont en jeu, la situation pourrait bien se renverser à l’avantage du copropriétaire.
Une affaire significative a été jugée par la Cour suprême du Canada le 30 juin 2004, dans Syndicat Northcrest c. Amselem. Par une décision fort divisée (5 voix contre 4), la Cour a autorisé l’installation de souccahs sur les balcons ou terrasses d’une copropriété que la déclaration interdisait.
Faits
Dans une des phases du complexe immobilier « Le Sanctuaire du Mont-Royal », situé à Montréal, quatre copropriétaires, de religion juive orthodoxe, décident en 1997 d’installer sur leurs balcons (parties communes à usage restreint) des cabanes appelées « souccah ». Ces cabanes leur servent de résidence temporaire lors de la célébration de Soukot, une fête annuelle commémorant l’exode du peuple juif dans le désert et se déroulant entre septembre et octobre (pendant environ 10 jours).
Or, la déclaration de copropriété interdit toute installation sur les balcons et terrasses, excepté du mobilier usuel d’extérieur (chaises de jardin, etc.). Face au refus du syndicat concernant les souccahs, le conflit éclate : les copropriétaires contestent une application stricte du règlement de l’immeuble, qui porterait atteinte à leur liberté de religion. Les souccahs sont installées sur leurs balcons, en octobre 1997.
Procédure
Le syndicat obtient une injonction contre ces copropriétaires devant la Cour supérieure. Mécontents et appuyés dans leurs demandes par la Ligue des droits de l’homme « B’nai Brith Canada », ceux-ci interjettent appel.
Devant la Cour d’appel, les prétentions des copropriétaires sont de nouveau rejetées. Les copropriétaires amènent alors l’affaire devant la Cour suprême du Canada.
Le débat, sans précédent en matière de copropriété divise au Canada, se déroule lors d’une audition du 19 janvier 2004, en présence de nombreux organismes venus soutenir les copropriétaires : la « Christian Legal Fellowship of Canada », le « Seventh Day Adventist Church of Canada », la « Evangelical Fellowship of Canada », le « World Sikh Organization of Canada » et la « Commission ontarienne des droits de la personne ».
Décision
La Cour Suprême du Canada décide clairement qu’une restriction d’installer ou construire quoi que ce soit sur les balcons est justifiée et qu’elle a un but rationnellement lié à l’administration de l’immeuble. D’abord, ces restrictions visent à préserver la valeur marchande des unités de logement détenues en copropriété. Elles protègent également le droit des copropriétaires à la jouissance des parties communes à usage privé en assurant la préservation du cachet de l’immeuble et son esthétisme extérieur comme immeuble luxueux, et en permettant l’utilisation des balcons pour l’évacuation de l’immeuble en cas de danger. Les restrictions sont justifiées par la destination de l’immeuble, ses caractères et sa situation, conformément à l’article 1056 du Code civil du Québec. De plus, l’empêchement d’obstruer les voies de passage entre les balcons tenant lieu de sortie de secours protège le droit à la vie et à la sûreté de chacun des copropriétaires.
Pour autant, au titre de la pratique religieuse, la Cour suprême a maintenu le droit des copropriétaires d’installer une souccah sur leur balcon, pendant la durée du Soukot, mais à certaines conditions :
- uniquement pendant la période de la fête religieuse;
- pourvu que soit laissé un passage suffisant permettant l’évacuation en cas d’urgence; et
- pourvu que son apparence soit conforme à certaines balises qui s’intégreront bien à l’apparence esthétique de l’immeuble.
Si cette décision maintient la validité de restrictions interdisant l’installation de constructions sur les balcons comme étant justifiées et en lien avec l’administration de l’immeuble, elle indique néanmoins qu’un droit ou une liberté protégée par les Chartes canadienne ou québécoise peut prévaloir sur ces restrictions, si tant est que les inconvénients pour la collectivité sont jugés minimes.
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