Bannir la cigarette et le cannabis en copropriété

Source de controverse permanente en copropriété, le tabagisme et la consommation de cannabis y soulèvent les passions. Or, il est reconnu qu’il n’existe pas de droit inaliénable pour un copropriétaire de fumer dans les parties communes ou dans une partie privative. Au contraire, le droit commun en matière de troubles anormaux de voisinage et les effets de la fumée secondaire sur la santé des personnes qui y sont exposées prônent vers l’interdit. À cet égard, le droit à la vie et à la sûreté et à l’intégrité de la personne que consacre la Charte des droits et libertés de la personne vont plutôt vers une obligation de s’abstenir de fumer dans les logements collectifs.

Dans les circonstances, doit-on bannir cette habitude dont les répercussions pour la santé sont dramatiques? La question demeure entière. Plus facile à dire qu’à faire, diront certains. Et ils n’ont pas tort. Coup d’œil sur toute la question légale qui balise le tabagisme et la consommation du cannabis en copropriété.   

Interdiction de fumer dans les parties communes 

La Loi concernant la lutte contre le tabagisme interdit à quiconque de fumer dans des lieux publics fermés. Cette interdiction vise, entre autres, les aires communes fermées de tout immeuble détenu en copropriété qui loge deux unités d’habitation et plus. Les terrasses et les aires extérieures exploitées dans le cadre d’une activité commerciale sont aussi visées par cette interdiction. Le terme « fumer » « vise également l’usage d’une cigarette électronique ou de tout autre dispositif de cette nature », tandis que le mot "tabac" "comprend les accessoires tels les tubes, les pipes et fume-cigarettes" (art. 1.1).

Il est ainsi clairement interdit de fumer dans des "aires communes fermées", tel que, par exemple, une salle communautaire, un corridor ou un ascenseur. Une copropriété n’est toutefois pas assujettie à l’interdiction de fumer à moins de neuf mètres d’une porte, d'une fenêtre ou d'une prise d’air (art. 2.2). Précisons également qu’il ne faut pas confondre « aires communes » et « parties communes ». La loi ne vise que les espaces publics "fermés". Elle ne saurait donc s’appliquer à toutes les parties communes d'une copropriété, par exemple les balcons qui sont qualifiés de parties communes à usage restreint. 

Par ailleurs, l’intérêt général de la collectivité des copropriétaires, la protection de leur qualité de vie, de celle des locataires et/ou des occupants de l’immeuble, ainsi que la préservation de la qualité de l’air justifient l’adoption d’un règlement interdisant la consommation de cannabis ou de tabac dans les parties communes. Ce règlement devrait faire partie de la section « Règlement d’immeuble » de la déclaration de copropriété. Conséquemment, le vote favorable nécessaire pour leur adoption est celui prévu aux dispositions de l’article 1096 du Code civil du Québec, soit le vote de la majorité des voix présentes ou représentées à l’assemblée. Une fois adopté, ce règlement devrait être immédiatement déposés dans le Registre de la copropriété, et ce afin d’être opposables à tous les copropriétaires.

Interdiction de fumer dans les parties privatives 

La fumée secondaire peut se frayer un chemin d'une partie privative à l'autre. Il en est ainsi dans les crevasses et les brèches des murs, des planchers ou des plafonds, dans les prises électriques, les prises de téléphones ou de câbles, les tuyaux ou les luminaires. Les systèmes de ventilation mal calibrés peuvent également être une cause de cette migration. Dans les circonstances, peut-on bannir la consommation de la cigarette dans les parties privatives?

 Aucune disposition législative ne prohibe la consommation de la cigarette ou du cannabis dans une partie privative. Or, on sait que ce type de fumée imprègne les objets et les matériaux d'une odeur quasi permanente. Étant donné la façon dont sont construits certains bâtiments détenus en copropriété, la fumée peut même se répandre dans tout l’immeuble. Par conséquent, un copropriétaire, un locataire ou un occupant qui fume impose une fumée secondaire aux autres, entraînant des risques pour la santé humaine. Dans une décision rendue en 2019, la Cour supérieure du Québec a validé un règlement de l'immeuble interdisant « l’usage de tout produit fumé à l’intérieur de toutes les parties privatives, ainsi qu’à l’intérieur de toutes les parties communes fermées à l’usage exclusif ou non des copropriétaires ». Le tribunal a considéré que ce règlement ne modifiait en rien la destination de l’immeuble, mais qu'il s’inscrivait plutôt dans le prolongement de sa destination résidentielle, compte tenu d'une déficience d'étanchéité entre les unités d’habitation qu'abrite l'immeuble.

La juge Chantal Masse ajoutait : « il n’existe pas de droit inaliénable à fumer dans son unité pour chaque copropriétaire; au contraire, le droit commun en matière de trouble de voisinage, l’article 976 C.c.Q. et la disposition particulière de l’article 1063 C.c.Q., en concurrence avec les nombreuses autorités judiciaires faisant un lien entre les effets de la fumée secondaire et la santé des personnes qui y sont exposées, et la Charte des droits et libertés de la personne et le droit à la vie et à la sûreté et à l’intégrité de la personne qu’elle consacre, vont plutôt vers une obligation de s’abstenir de fumer dans des environnements qui font en sorte que d’autres personnes sont susceptibles de voir leur santé affectée par la fumée secondaire, qu’il s’agisse d’un milieu de travail, d’hôpitaux ou de lieux résidentiels comme en l’espèce ».

Cependant, il faut demeurer prudent. Au-delà des énoncés précités, il faut savoir que cette décision demeure un cas d’espèce découlant d’une preuve particulière à ce dossier. La pertinence et la validité d’une clause qui interdit de fumer dans une partie privative ne sont donc pas universelles. Elles dépendent du contexte particulier de chaque immeuble. Dans les circonstances, il faut se demander si le fait d’interdire dans une partie privative un copropriétaire de fumer du tabac, du cannabis ou d'autres substances qui dégagent des odeurs (par exemple le cigare) restreint ses droits et dans l'affirmative si la restriction est justifiée par la destination de l’immeuble. Il faut donc s'abstenir d’en dégager un principe général, à savoir qu’un règlement suffirait pour qu'un syndicat interdise à quiconque de fumer dans les parties privatives.

Mise en œuvre de la Loi concernant la lutte contre le tabagisme 

Les infractions à la Loi concernant la lutte contre le tabagisme sont assorties d'amendes. Des inspecteurs veillent à ce que cette loi soit respectée, tant auprès des personnes physiques que morales. Les personnes reconnues coupables d’entraves au travail des inspecteurs peuvent être mises à l’amende elles aussi. Il en sera de même si elles refusent ou négligent de fournir (à la demande d’inspecteurs) des renseignements ou des documents relatifs à l’application de la loi ou de ses règlements

 

BON À SAVOIR ! Un copropriétaire incommodé par une fumée secondaire pourrait envisager un recours judiciaire pour troubles de voisinage contre le copropriétaire concerné. Le demandeur devra néanmoins démontrer que cette nuisance est anormale, et qu’elle excède les limites de la tolérance que les voisins se doivent, en vertu de l’article 976 du Code civil du Québec.

https://www.condolegal.com/images/Boutons_encadres/A_retenir.pngÀ RETENIR :​ L‘article 1056 du Code civil du Québec énonce que la déclaration de copropriété (ainsi que les modifications qui lui sont apportées) ne peut imposer aucune restriction aux droits des copropriétaires, sauf celles qui sont justifiées par la destination de l'immeuble (usage voulu de l’immeuble), ses caractères ou sa situation. L’un des aspects de ces caractéristiques, c'est la qualité de la construction de l'immeuble. C'est pourquoi, il peut être permis de prohiber dans un immeuble (parties communes et privatives) toute consommation de substance qui dégage de la fumée quand les caractéristiques physiques de l'immeuble n’assurent pas un cloisonnement adéquat entre les parties privatives ou communes de la fumée secondaire. 

ATTENTION !​​ Il faut comprendre que la situation physique des terrasses et des balcons, dans une copropriété, peut occasionner un inconfort pour certains occupants, lorsque les voisins immédiats sont des fumeurs. La plupart du temps, ces structures sont superposées et situées très proches les unes des autres. « Or, la protection de la santé des copropriétaires doit prévaloir sur la liberté des fumeurs".

 

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