Date de publication: 28/11/2018

Vote par correspondance: comment manipuler une assemblée de copropriétaires

27 novembre 2018 — L’avocat émérite et secrétaire général du Regroupement des gestionnaires et copropriétaires du Québec (RGCQ), Yves Joli-Coeur, a récemment participé à une table ronde présentée sur Radio-Immo.fr, à Paris. L’entrevue qu’il a accordée, dans le cadre du Salon de la copropriété qui se déroulait dans la Ville Lumière, portait sur la loi Élan (Évolution du logement, de l’aménagement et du numérique). Celle-ci permet, désormais, le vote par correspondance lors d’une assemblée de copropriétaires dans ce pays. Ceux qui voudront s’en prévaloir pourront le faire avant qu’elle se tienne, en utilisant un formulaire.

 

Les copropriétaires auront le droit de voter par visioconférence, ou par tout autre moyen de communication électronique qui permet leur identification. Ce faisant, les syndicats viennent d’entrer dans une zone d’ombre qui pourrait réserver des surprises de taille, estiment certains juristes.

Effets pervers  

Selon l’avocat français en droit de la copropriété, Olivier Brane, « Cette nouvelle mesure devrait favoriser la percée des syndics (gestionnaires de copropriété) en ligne, le vote à domicile par le truchement d’un ordinateur, ainsi que l’utilisation des chaînes de bloc. » Ce juriste croit que les effets pervers d’une telle mesure ne serviront pas, nécessairement, les intérêts d’un syndicat de copropriétaires.

« En votant avant la tenue d’une assemblée générale, ces copropriétaires ne participent pas aux débats », dit-il. Ils pourraient donc être trompés par une réalité différente de celle appréhendée, sans compter qu’ils n’auraient pas le loisir d’entendre les arguments qui plaident en faveur (ou non) d’une résolution, ou de travaux à faire dans un immeuble.

Résolutions évolutives

Il arrive, par ailleurs, que des résolutions aient évolué "de manière substantielle" en cours d'assemblée. Elles sont dès lors considérées comme étant "défavorables". Dans une situation de ce genre, le vote par correspondance pourrait créer des remous. À titre d’exemple si, à l’issue d’une assemblée, « Les travaux ou un budget passent de 10 000 à 20 000 euros, est-ce une évolution substantielle, se demande Olivier Brane? Il y aurait possiblement matière à contentieux dans un cas semblable, car qui pourra décider du caractère substantiel de l’évolution? »

De leur côté, « Les copropriétaires bailleurs (non-occupants) qui s’opposent systématiquement à ces travaux risquent de prendre le pouvoir, au détriment des personnes présentes dans l’immeuble et en assemblée générale », d’ajouter Olivier Brane.

Assemblées manipulées

L’Ontario permet aussi le vote électronique lors d’une assemblée, en vertu d’un récent amendement apporté au Condominium Act de 1998. Mais selon Yves Joli-Cœur, « Il devient facile de manipuler son déroulement dans ces conditions. » Pour appuyer ses dires, il évoque entre autres le phénomène du « hijacking » (détournement) dans certaines grandes copropriétés en Amérique du Nord, par le fait de copropriétaires qui ont réussi à en prendre le contrôle. « Les solutions bonbon cachent parfois des situations extrêmement nocives. En fait, le jour où il n’y aura plus d’âme dans une copropriété, il faudra réfléchir sur la pertinence de ce modèle d’habitations collectif », souligne-t-il.

Mais selon l’avocat Ray Leclair, vice-président Affaires publiques chez LAWPRO, une entreprise située à Toronto qui propose de l’assurance titres partout au Canada, le vote électronique pourrait avoir l’effet contraire, c’est-à-dire qu’il préviendrait la prise de contrôle d’une assemblée, par le fait d’une élimination des procurations. Il faut également savoir que tous les copropriétaires n’accepteraient pas, nécessairement, d’être contrôlés par un groupe d’individus souhaitant qu’un vote aille dans une direction. À tout le moins, cette formule permettra un meilleur taux de participation à une assemblée, si bien que ce contrôle deviendrait d’autant plus difficile.

Le vote par correspondance n’est pas permis au Québec

Rappelons que le Québec ne permet pas aux copropriétaires de voter par correspondance, quelle qu’en soit la manière. Ces derniers doivent être présents ou représentés (procurations) lors d’une assemblée. Toutefois, une résolution écrite peut être signée par toutes les personnes habilitées à voter. Cette résolution a la même valeur que si elle avait été adoptée lors de l’assemblée des copropriétaires.Il s'agit d'une pratique courante dans les petits ensembles en copropriété qui comptent cinq unités ou moins.

Par François G. Cellier pour Condolegal.com
Montréal, 27 novembre 2018