Deux (2) jugements[1] récents rendus par l’Honorable juge Georges Massol, de la Cour du Québec, abordent l’article 1074.2 du Code civil du Québec et le sens qu’il faudrait donner à cette disposition introduite au Code civil du Québec en décembre 2018 et qui a été modifié en mars 2020.
L’audition de ces causes a eu lieu le 13 octobre 2021 et les deux jugements portent la date du 21 octobre 2021. Signalons que le sinistre à l’origine de ces réclamations est survenu en mars 2019. Il s’agit de deux poursuites entreprises pas des copropriétaires d’un même syndicat, afin de se faire rembourser des sommes qu’ils ont dû assumer personnellement, puisque les sommes réclamées étaient inférieures au montant de la franchise du contrat d’assurance du syndicat.
Les jugements
Il ressort de ces jugements que la présomption de faute de l’article 1465 du Code civil du Québec demeure applicable, en dépit de la controverse soulevée dans la doctrine à la suite de l’entrée en vigueur de l’article. Le juge considère que le libellé de l’art. 1074.2 C.c.Q., tel qu’il était avant le 17 mars 2020, ne mentionne pas que le syndicat doit prouver la faute du copropriétaire, mais plutôt que ce dernier peut être tenu de rembourser ce qui a été payé par le syndicat dans le cas où le préjudice a été causé par la faute du copropriétaire, celle-ci pouvant être présumée, conformément à l’art. 1465 C.c.Q.
Ces jugements ne se penchent en fait que sur l’application de cette présomption de faute de l’article 1465 C.c.Q. aux cas en l’espèce, et non sur l’aspect crucial pour les syndicats de copropriétaires, à savoir ce qu’il advient des clauses que contiennent les déclarations de copropriété rendant responsables les copropriétaires pour les dommages qu’ils causent à l’immeuble (ou encore les dommages causés par leurs locataires).
En effet, lors de la modification apportée en mars 2020 à l’article 1074.2 C.c.Q., l’alinéa suivant a été maintenu et son interprétation par les tribunaux demeure encore inconnue. Pour rappel, l’article 1074.2 C.c.Q. se lit désormais comme suit :
« Les sommes engagées par le syndicat pour le paiement des franchises et la réparation du préjudice occasionné aux biens dans lesquels celui-ci a un intérêt assurable ne peuvent être recouvrées des copropriétaires autrement que par leur contribution aux charges communes, sous réserve des dommages-intérêts qu’il peut obtenir du copropriétaire tenu de réparer le préjudice causé par sa faute et, dans les cas prévus au présent code, le préjudice causé par le fait ou la faute d’une autre personne ou par le fait des biens qu’il a sous sa garde.
Est réputée non écrite toute stipulation qui déroge aux dispositions du premier alinéa. »
À cet égard, voici ce qu’écrit Me Christine Gagnon, dans la plus récente édition de son ouvrage La Copropriété divise (5e édition), à la page 619 :
« Nous partageons l’avis de Me Yves Joli-Cœur qui écrit au sujet du deuxième alinéa de l’article 1074.2 C.c.Q. qui répute non écrite toute stipulation contraire au premier alinéa de cet article :
Est-ce que ce texte, qui est d’ordre public de direction selon nous, se limite à rendre caduque toute disposition de la déclaration de copropriété qui établirait un mode de répartition de la franchise autre que celui prévu à l’article 1064 C.c.Q.? Ou est-ce qu’il a pour conséquence de rendre caduque toute clause d’une déclaration de copropriété établissant un régime de responsabilité contractuelle à l’égard des copropriétaires?
Nous ne pouvons imaginer que le législateur ait voulu mettre fin au régime de la responsabilité contractuelle, qui nous semble nettement supérieur, dans les circonstances. (…) »
Nous souhaitons que cette disposition soit à l’avenir interprétée comme interdisant, de manière impérative et conformément à l’article 1064 C.c.Q., une autre répartition des charges communes résultant d’une franchise d’assurance que celle qui est proportionnelle à la valeur relative des fractions, sous réserve du droit du syndicat de récupérer cette franchise du copropriétaire qui assume une responsabilité contractuelle ou extracontractuelle. C’était le cas auparavant… »
Une réforme s'impose
Force est de constater que le cœur du débat concernant l’article 1074.2 C.c.Q. demeure encore non-résolu à ce jour et Me Yves Joli-Cœur est d’avis qu’une nouvelle réécriture de cet article s’impose, afin de mettre un terme aux refus des assureurs en responsabilité civile des copropriétaires de reconnaître et appliquer les clauses que l’on retrouve dans la majorité des déclarations de copropriété.
Pour lire l'intégralité des jugements :
[1] Il s’agit en fait de deux décisions émanant du même sinistre, mais qui ne furent pas joints, afin de ne pas compliquer l’identification des pièces au soutien des actions. L’essentiel du texte de ces deux jugements est quasiment identique. Les différences concernent le nom des demandeurs et les dommages réclamés par chacun.
Montréal, 13 novembre 2021