Deux récents jugements de la Cour du Québec illustrent de façon éloquente les défis auxquels font face les syndicats de copropriétaires, lorsqu'il s'agit de récupérer les franchises d'assurance par suite de dommages causés par des locataires. Ces deux décisions mettent en lumière les lacunes législatives et pratiques liées à la gestion des sinistres, en dépit des modifications apportées à l'article 1074.2 du Code civil du Québec en 2020. Ces situations fragilisent les finances des copropriétés et soulèvent des questions importantes quant à la responsabilité des locataires et à la capacité des syndicats à récupérer la franchise d’assurance.
Résumé des deux jugements
Dans ce cas, un locataire a provoqué un dégât des eaux en laissant un robinet ouvert, ce qui a causé des dommages à des unités et des parties communes. Qui plus est, la faute est admise par le locataire. Le syndicat a tenté de récupérer la franchise d’assurance auprès du copropriétaire-locateur, en invoquant une clause de la déclaration de copropriété qui rend les copropriétaires solidaires des fautes de leurs locataires.
Le tribunal a rejeté cette demande en raison de l'article 1074.2 C.c.Q., qui stipule que le syndicat ne peut recouvrer les sommes liées à la franchise auprès d’un copropriétaire que si ce dernier ou une personne sous sa garde est directement responsable des dommages. Ici, la faute était attribuable exclusivement au locataire, et le tribunal a précisé qu’aucune disposition du Code civil n’impose au copropriétaire de réparer un préjudice causé par son locataire.
2. Syndicat des copropriétaires du 1200 Ouest c. Michel Bouvet et al., 2024 QCCQ 6916
Dans ce second jugement, un dégât des eaux a été causé par une fuite provenant d’un lave-vaisselle situé dans une unité louée. Le syndicat a tenté de tenir les copropriétaires responsables, mais le tribunal a conclu que la garde et le contrôle du lave-vaisselle incombaient au locataire, non aux copropriétaires-locateurs.
De plus, le tribunal a souligné que la clause de la déclaration de copropriété imposant une responsabilité stricte aux copropriétaires pour les fautes des locataires était « réputée non écrite », selon l'article 1074.2 C.c.Q. Aucun lien juridique ne permettait de considérer les copropriétaires comme responsables des actions de leur locataire.
La portée limitée de l’article 1074.2 C.c.Q modifié
L'article 1074.2 du Code civil du Québec, dans sa version révisée, visait à clarifier les responsabilités en cas de dommages causés dans une copropriété. Il stipule que les copropriétaires responsables peuvent être tenus de rembourser au syndicat la franchise de l'assurance lorsque leur responsabilité est engagée. En théorie, cette disposition devait offrir un outil juridique efficace pour le recouvrement des franchises.
Cependant, les jugements récents montrent que cet objectif reste largement inatteignable dans la pratique. Les syndicats de copropriétaires doivent non seulement prouver que le locataire est responsable des dommages, mais également établir un lien de causalité précis entre les actes du locataire et les dommages, en plus de ne pouvoir procéder via le copropriétaire-locateur. En fait, ils doivent alors poursuivre directement le locataire. Or, cette exigence s'avère extrêmement complexe, surtout dans les immeubles où les unités sont louées à court terme, ou encore là où les locataires sont nombreux et difficilement identifiables. On aurait beau dire que l’article 1065 du Code civil du Québec. a tout réglé, en exigeant que les copropriétaires avisent le syndicat, dans les 15 jours d’une location ou d’un prêt à usage, dans les faits, cela n’est pas toujours effectué, particulièrement dans les cas de location à court terme. Résultat : le syndicat est laissé à lui-même et doit se débrouiller ou renoncer. Il en résulte une iniquité flagrante.
L’impossibilité d’identifier la responsabilité des locataires
Les syndicats se heurtent souvent à une difficulté majeure : l’identification du locataire fautif. Dans les cas de location à court terme, il est très fréquent que les propriétaires ne communiquent pas l’identité de leurs locataires au syndicat. Par conséquent, lorsqu’un dommage survient, il devient pratiquement impossible pour le syndicat de déterminer qui était présent dans l’unité au moment de l’incident.
Les jugements récents illustrent bien ce problème. Dans l’un des cas, le tribunal a conclu que le syndicat ne disposait pas de preuves suffisantes pour imputer la responsabilité au locataire de l’unité. Faute d’une telle identification, la réclamation de la franchise d’assurance par le syndicat a été rejetée, laissant ce dernier assumer le coût de la franchise, qui peut atteindre plusieurs centaines de milliers de dollars.
Ce constat révèle une importante faille dans le régime du droit des assurances en copropriété divise : bien que la loi oblige les copropriétaires à déclarer leurs locataires au syndicat, l’absence de sanctions et l’impossibilité d’imposer une assurance responsabilité civile aux locataires limitent l’efficacité de cette obligation, surtout dans les cas de locations à court terme. Cela entrave la capacité des syndicats à protéger les intérêts collectifs des copropriétaires.
L’absence d’obligation d’assurance pour les locataires
L’absence d’une obligation légale pour les locataires d’avoir une assurance responsabilité contribue au problème. Contrairement à la France, où les locataires sont légalement tenus de souscrire une assurance couvrant les risques locatifs, le droit québécois ne prévoit pas une telle obligation.
Cette lacune place les syndicats dans une position encore plus vulnérable. Lorsqu’un locataire est reconnu responsable d’un dommage, mais qu’il n’a pas d’assurance, le syndicat n’a souvent aucun recours pratique pour récupérer les montants en question. Cette situation s’est reflétée dans le second jugement analysé, où le locataire responsable ne disposait d’aucune couverture d’assurance. Le syndicat s’est vu contraint d’assumer non seulement la franchise d’assurance, mais également les frais supplémentaires liés à la réparation des dommages.
L’absence d’obligation d’assurance pour les locataires crée une inégalité entre les copropriétaires et les occupants. Les copropriétaires sont souvent soumis à des exigences strictes en matière d’assurance par le biais de la déclaration de copropriété, tandis que les locataires échappent à ces obligations, augmentant ainsi les risques financiers pour la copropriété.
Les impacts financiers sur les copropriétés
Ces deux jugements illustrent clairement les impacts financiers graves pour les syndicats de copropriétaires. Lorsqu’un dommage survient, la franchise d’assurance devient une charge importante pour le syndicat. Si le locataire responsable ne peut être identifié ou n’a pas d’assurance, le coût est réparti entre tous les copropriétaires, y compris ceux qui ne sont en rien responsables du dommage.
Cette situation fragilise les finances des copropriétés, en particulier dans un contexte où les primes d’assurance et les franchises augmentent considérablement au Québec. Pour certains syndicats, ces coûts supplémentaires peuvent entraîner des déficits budgétaires, des appels de fonds spéciaux ou une hausse des charges communes, ce qui alourdit le fardeau financier des copropriétaires. Injustement, ajoutons-nous.
Solutions possibles : inspiration du modèle français
Face à ces défis, plusieurs pistes pourraient être explorées pour mieux protéger les copropriétés au Québec :
Une nouvelle réforme législative s’impose
Les jugements récents de la Cour du Québec mettent en évidence que l’article 1074.2 C.c.Q., dans sa version actuelle, n’a pas permis d’atteindre les résultats escomptés pour les syndicats de copropriétaires. En fait, il perpétue l’iniquité. Les lacunes législatives, notamment l’absence d’obligation d’assurance pour les locataires et la difficulté d’identifier les responsables dans le cas de locations à court terme, affaiblissent considérablement les finances des copropriétés.
Le Regroupement des gestionnaires et copropriétaires du Québec considère qu'il est impératif que le ministère des Finances prenne en compte ces problématiques et procède à des ajustements législatifs. En particulier, l’introduction d’une obligation d’assurance pour les locataires et une meilleure gestion de l’identification des locataires, y compris pour les locations à court terme, s’imposent.
Il serait pertinent de s’inspirer du modèle français, où les locataires sont légalement tenus de souscrire une assurance responsabilité civile, et où des mécanismes de déclaration plus stricts sont en place. Sans ces réformes, les syndicats et copropriétaires continueront de faire face à des défis financiers majeurs, incapables de récupérer efficacement les coûts des dommages causés par les locataires.
Montréal le 14 décembre 2024
Me Yves Joli-Coeur, avocat émérite
Président du Regroupement des gestionnaires et copropriétaires du Québec
Courriel : [email protected]
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