Date de publication: 13/11/2024

Franchise d’assurance : quelle preuve le syndicat doit-il fournir pour en obtenir le remboursement?

Une récente décision de la Cour du Québec apporte des éclaircissements importants pour les syndicats de copropriétaires cherchant à récupérer la franchise d’assurance auprès d'un copropriétaire en cas de sinistre. Dans ce jugement, la Cour a rejeté la demande d’un syndicat qui réclamait d’un copropriétaire le remboursement d’une franchise de 50 014,13 $, à la suite d’un dégât d’eau survenu dans son unité. Cette décision met en lumière plusieurs questions récurrentes sur la responsabilité des copropriétaires ainsi que sur le fardeau de preuve qui incombe au syndicat dans les litiges relatifs aux dommages matériels en copropriété.

Contexte de l’affaire :

Un tout nouveau copropriétaire fait appel à des prestataires de services, pour effectuer des travaux mineurs dans son unité, avant son aménagement dans les lieux. Or, tandis qu’un de ces prestataires de services effectuait des travaux, dont le retrait du papier peint existant, un gicleur se déclenche, provoquant un dégât d’eau important, tant dans l’unité de ce copropriétaire que dans les parties communes de l’immeuble.

Le syndicat, après avoir assumé lui-même le montant de la franchise dans la réclamation à son assureur, réclame du copropriétaire le remboursement de cette franchise, alléguant qu’il en est responsable, en raison de la faute de son prestataire. Il s’appuie notamment sur une disposition de la déclaration de copropriété qui se lit comme suit.

« Tout copropriétaire reste responsable à l’égard des autres copropriétaires et du syndicat, des conséquences dommageables entraînées par sa faute ou sa négligence et celle de ses préposés ou par le fait d’un bien dont il est légalement responsable. »

Les principaux points du jugement :

  1. Absence de preuve directe de faute : La Cour a d’abord noté que le syndicat n’a pas fourni de preuve directe, ni d’expertise, établissant que le déclenchement du gicleur avait été causé par l’utilisation d’une décolleuse à papier peint. Il devait donc procéder par présomption. Or, pour qu’une présomption de responsabilité soit acceptée, le syndicat devait démontrer, par des faits graves, précis et concordants, que l’utilisation de cet appareil avait effectivement provoqué le sinistre. Le juge ajoute qu’une preuve par présomption ne peut être purement conjecturale; elle doit s’appuyer sur des faits bien établis qui conduisent directement et nécessairement à la conclusion recherchée. Ayant fait défaut d’apporter de tels faits précis et concordants, cet élément a été décisif dans le rejet de la demande.
  2. Responsabilité selon la relation entre le copropriétaire et son prestataire : Le Tribunal a également examiné la nature de la relation entre le copropriétaire et le prestataire de services retenu pour réaliser ces travaux ponctuels. Or, il s’agissait d’un travailleur autonome, sans lien de subordination avec le copropriétaire, la relation étant basée sur un contrat de services. Le tribunal conclut qu’il ne s’agissait donc pas d’un préposé, au sens de l’article 1463 du Code civil du Québec, mais plutôt d’un prestataire indépendant. Le copropriétaire ne pouvait donc pas être tenu responsable des actes de ce dernier.
  3. Application de l’article 1074.2 du Code civil du Québec et stipulations de la déclaration de copropriété : Le sinistre étant survenu en avril 2021, le juge examine l’article 1074.2 C.c.Q. (2e mouture) et détermine que la disposition de la déclaration de copropriété sur laquelle se base le syndicat déroge en partie du premier alinéa de cet article. La disposition (clause) de la déclaration de copropriété est donc réputée non-écrite. Le juge conclut donc que le syndicat devait prouver que le copropriétaire avait commis une faute qui est la cause du préjudice, ou encore que ce préjudice qui lui a été causé résulte du fait du bien ou de la faute d’une personne dont il est légalement responsable, en l’occurrence le prestataire de services retenu pour exécuter les travaux, le jour du sinistre. Ayant fait défaut d’une telle démonstration, le syndicat n’a pas obtenu gain de cause.

Nos recommandations :

Ce jugement offre plusieurs enseignements pratiques pour les syndicats de copropriétaires qui souhaitent assurer une gestion rigoureuse des incidents impliquant des copropriétaires et se prémunir contre des situations similaires :

  1. Mettre en place une politique de gestion des travaux dans les parties privatives : Le syndicat devrait formaliser une procédure, écrite et claire, pour tous les copropriétaires souhaitant effectuer des travaux dans leurs unités, en précisant tous les types de travaux nécessitant une approbation, les documents à fournir (plans, devis, assurances), et les vérifications obligatoires.
  2. Faire appel à un expert en sinistre indépendant (copropriété) : En cas de sinistre, il est recommandé au syndicat de copropriétaires de recourir à un expert en sinistre indépendant, désigné spécifiquement pour représenter le syndicat et intervenir lorsque le montant des dommages est inférieur à la franchise. Ce spécialiste est chargé d’enquêter sur les causes du sinistre, d’évaluer l’étendue des dommages et de déterminer la responsabilité civile des copropriétaires ou des tiers impliqués. L’expert, détenteur d’un certificat d’expertise en règlement de sinistres délivré par l’Autorité des marchés financiers et membre de la Chambre de l’assurance de dommages, fournit une analyse décisive pour établir l’origine du sinistre et la responsabilité qui en découle.
  3. Encadrer les interventions de prestataires dans les parties privatives et communes : Afin d’éviter des litiges éventuels, le syndicat devrait préciser dans sa réglementation interne les procédures à suivre par les copropriétaires qui souhaitent faire appel à des prestataires de services dans leur unité, en exigeant par exemple des licences et des assurances, et en interdisant certaines interventions à proximité de systèmes sensibles, comme les gicleurs.

Conclusion : Ce jugement souligne l’importance pour les syndicats de copropriétaires de suivre des procédures strictes et de documenter rigoureusement les interventions dans les parties privatives. Une preuve de faute est indispensable pour récupérer des franchises auprès des copropriétaires, et une gestion proactive et encadrée peut contribuer à minimiser les risques de litiges futurs.

Référence : Le Nouvel Europa syndicat de la copropriété c. Minneci (2024 QCCQ 5903)

 

Me Yves Joli-Coeur, avocat émérite

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